Quand un réalisateur de talent décide de changer radicalement le ton d’une série le temps d’un épisode, on obtient soit une catastrophe intersidérale, soit un chef d’oeuvre. Et heureusement pour nous, Joss Whedon est un mec bourré de talent et qui l’a prouvé à de nombreuses reprises, notamment dans le 16ème épisode de la saison 5 de Buffy contre les vampires, Orphelines.
Le contexte
La saison 5 s’ouvre avec la découverte d’un nouveau personnage : Dawn, la petite soeur de Buffy. Et c’est au cours de cette même saison, à l’épisode 5, que Joyce (sa mère) découvre qu’elle est atteinte d’un cancer. On pourrait se dire que d’office, Joyce est condamnée à être remplacée par Dawn comme personnage familiale récurrent. Pendant une bonne partie de la saison, la vie de Buffy va d’ailleurs tourner autour du cancer de sa mère, ce qui l’obligera à jongler entre s’occuper de sa sœur, de sa mère, suivre ses cours à la fac et tenir son rôle de tueuse. Puis vint la rémission, aussi rapide qu’inespérée après laquelle Buffy reprend sa vie avec quelques changement, mais finalement tout est bien qui fini bien.
Mais là est le doute. Cette guérison n’est-elle pas trop rapide en comparaison de la durée de l’intrigue sur la maladie ? Il est vrai que jusque là, très peu de personnage centraux sont morts et en dehors de Mme Calendar (ironique que les jours de Mademoiselle Calendrier soient comptés, d’autant que l’actrice l’incarnant est Robia LaMorte) on n’en retient aucun de très notable. Mais ça passe inaperçu, chacun admet que Joyce est sauvé… jusqu’à l’épisode 16.
Fin de l’épisode 15
On apprend la mort de Joyce, ou du moins on la suppose, dès la fin de l’épisode 15. Cette fin d’épisode est d’ailleurs montée de manière particulière. Buffy assiste à la « fin de vie » d’un robot humanoïde qui avait voué son existence (via sa programmation) au bonheur de son créateur. La scène de la « mort » de l’androïde est assez intéressante, Buffy reste jusqu’au bout sur la balançoire, accompagnant l’être artificiel jusqu’à la fin. On ne peut s’empêcher, à ce moment là, de ressentir une certaine empathie pour ce personnage qui n’a été créé que pour satisfaire un besoin égoïste et qui finalement est plus une victime qu’un coupable. Et une fois qu’on est bien mûre émotionnellement, et sans doute avec un petit plaisir sadique du réalisateur, Buffy rentre chez elle…
Orphelines
Le démarrage de cet épisode emblématique a été tourné à la fin de l’épisode 15. On retrouve donc Buffy rentrant chez elle et c’est à partir de là qu’on découvre une justesse et un sentiment de malaise permanent.
D’apparence anodine, on pourrait croire que le plan nous montre Joyce endormie sur le canapé. Mais n’importe qui voyant cette seule image comprend qu’il y a quelque chose d’anormale, que ce flou en fond n’est pas là à cause d’une mauvaise gestion de la caméra. C’est complètement volontaire et conçu de manière à ce que nous découvrions la vérité avant Buffy. L’idée n’est pas que nous prenions peur qu’elle découvre ce qu’il s’est passé puisqu’elle le découvrira forcément, mais plutôt de nous préparer à voir Buffy subir cet événement tragique. Tout l’enjeu de l’épisode est conçu et dévoilé sur un plan unique, il ne nous montre pas la mort de Joyce, mais la réaction de Buffy face à la mort de Joyce. Aucune musique ne vient souligner ce plan, aucune musique ne viendra troubler l’histoire en dehors du générique au début de l’épisode.
S’en suit une scène de détresse anecdotique, l’intervention des secours et le verdict. Les explications de l’ambulanciers sont complètement évacuer de la caméra avec un plan fixe ne cadrant que sa bouche, occultant toutes les émotions qui pourraient se ressentir sur son visage, seule reste la voix et la conclusion. Puis la tournure des événements vire à l’horreur quand les ambulanciers repartent, laissant le corps là pour se rendre sur une autre alerte. Buffy appelle Giles et durant un plan séquence assez long elle va faire le tour de la maison, vomir sur le tapis et le nettoyer. Quand Giles arrive, il est dans l’encadrement de la porte la lumière du soleil en arrière plan tel le sauveur qu’il a toujours été durant les dernières années. Il va se précipité sur Joyce pour tenter de la réanimer quand Buffy va lui hurler qu’elle est morte. A ce moment là, Buffy réalise l’horreur de la situation, elle admet la mort de sa mère.
Changement de décor avec Dawn qui va confronter ses problèmes d’adolescente à la perte de sa mère. La jeune fille est en pleure à cause d’une crasse que lui a faite une camarade de classe. Le reste de la scène est classique de ce genre de série avec une adolescente voulant plaire au garçon de ses rêves jusqu’à voir débarqué sa sœur jusque dans la classe, honte suprême. Puis la douleur balaye d’un coup la gêne.
Tour à tour, nous visitons chacun de membres du Scooby-gang qui réagit de manière différente entre la colère, la violence, la tristesse. Des émotions réellement touchantes et soulignés par des agissements en tout point contraire à ce que sont les personnages habituellement.
Même la scène finale est d’une portée tout autre. Alors qu’un cadavre se réveil en vampire à la morgue, la scène insiste sur Dawn qui tient absolument à voir une dernière fois sa mère tandis que Buffy combat en arrière plan. Tout l’enjeu est de montrer que Dawn n’a pas encore admit la mort de sa mère alors que Buffy a déjà vu le corps, et qu’il faudra qu’elle aussi passe par là. Métaphoriquement, le combat de la Tueuse passe au second plan vis-à-vis de la confrontation de Dawn avec la mort.
The body
Si le titre de l’épisode en français est révélateur de l’action que l’on connait pourtant depuis l’épisode précédent, c’est le titre en version originale qui apporte tout son sens à certaines scène dont la dernière. The body indique que l’enjeu n’est plus Buffy ou Dawn, mais Joyce, ou plutôt ce qu’il reste d’elle. L’épisode ne traite pas du souvenir ou de la mémoire de la défunte comme la plupart des séries classiques, mais bien de l’enveloppe charnel, ce qu’il reste physiquement après la mort, le seul témoins de la mort.
Le corps de Joyce reviendra d’ailleurs à plusieurs reprises dans l’épisode pour souligner que ce n’est plus qu’un cadavre.
Conclusion
Cet épisode est considéré unanimement comme étant l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur, de toute la série. D’autres iront jusqu’à dire que c’est le meilleur épisode de série de tous les temps. C’est aussi une preuve qu’une série peut bénéficier d’une réelle mise en scène et s’éloigner des codes du genre.
Article publier à l’origine sur le blog communautaire backtotheculture.fr.